Du silence

Publié le par Mr. Oyster

Il paraît que ce n’est pas parce qu’on a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule. C’est là une belle occasion d’aborder le silence, et par-là d’aborder le mont Dylan par sa face la plus grave. Parce que Dylan parle peu – quand il le fait, on ne le comprend guère. A Grenoble, il s’est fendu d’un étrange « vive la France » à la fin du concert, un « vive la France » sans doute moqueur – il s’est penché sur le musicien le plus proche et a doucement rigolé. C’était la première fois que je voyais Dylan rire, ça fait un drôle d’effet…  

Outre qu’il est inhérent au personnage, le silence traverse toute l’œuvre de Dylan. Du silence conçu comme mystère salvateur dans Love Minus Zero (« My love, she speaks like silence ») à la carapace glaçante dont se recouvre l’être aimé (Love Sick). Dans le film I’m not there, l’un de ses visages déclare que le silence est ce qui effraie le plus les gens. Ce qu’il dit – rien – , il le dit trop : le silence, cet absolu à double tranchant, tour à tour contemplation et pulsion de mort. La plus belle chanson qu’il ait écrite depuis vingt ans parle du silence – le sien, celui de tout un chacun : Ain’t Talkin’, le monument le plus paradoxalement personnel et universel de son œuvre.

 Ain’t talkin’, just walkin’
Up the road, around the bend.
Heart burnin’, still yearnin’
In the last outback – at the world’s end.
 

Pénitence et trop-plein, le silence constitue la matière même de la plus belle musique. J’aime la musique parce qu’elle ne respire que par le silence. La musique est ce par quoi le silence acquiert sa plus perceptible existence – car en fin de compte, le silence, illusion vivante, ne possède pas encore d’existence autonome. Là où elle cesse de pouvoir être intellectualisée, là où rompent les nœuds tendus de la conscience, naît véritablement le silence qui soutient chaque son : subjectif, objectif, le silence peut dès-lors s’étendre à l’univers entier, enfouissant sous son noir velours les froides résonnances du big-bang. Un musicien comme Jandek est à ce titre édifiant.  

Le seul silence qui nous soit donné, c’est celui, fulgurant et fondateur, de la musique. Le silence est toujours d’abord pour nous un monologue désaccordé – un cerveau qui implose –, un obstable à renverser, un fourmillement des nerfs – pas une cellule en nous qui ne converse. Tout le mutisme dont nous pouvons nous draper demeure un primaire appel au secours. Lire Cioran : « En arriver à ne plus apprécier que le silence, c'est réaliser l'expression essentielle du fait de vivre en marge de la vie. Chez les grands solitaires et les fondateurs de religions, l'éloge du silence a des racines plus profondes qu'on ne l'imagine. Il faut pour cela que la présence des hommes vous ait exaspéré, que la complexité des problèmes vous ait dégoûté au point que vous ne vous intéressiez plus qu'au silence et à ses cris. » (dans Les cimes du désespoir, que tout le monde devrait avoir lu.) 

Par opposition à son pendant humanisé, le silence véritable, conçu dans son entièreté, consisterait en une musique détemporalisée. Une musique qui raccorderait définitivement l’esprit  à rien. Le silence, on ne le connaît pas encore.

 

 

 

Publié dans Dylanologie

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I
Superbe version live d'ain't talkin !<br /> Sans doute une des plus belles chansons jamais composées par Mister Zimmermann
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M
<br /> Cette chanson, c'est un sommet, un truc intemporel qu'on ne réussit jamais à saisir tout à fait. <br /> <br /> <br />
N
Bien bel article, Herr Auster !<br /> Le silence en musique tel que tu l’évoques, texture du vide, me fait penser à Monet. Ce qui lui importait de peindre, disait-il de ses toiles maritimes, n’était pas tant les bateaux que l’air qui les entourait. La texture du vide, en voilà un grand défi pour grands artistes, tous genres confondus.
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T
Ça ne se voit pas, mais je rougis en silence... Ma ponctuation à moi.
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M
<br /> J'aimerais voir ça !<br /> <br /> <br />
T
Mais le silence, ce n'est pas rien!
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M
<br /> Titam, ton premier commentaire me met en joie et m'en bouche un coin !<br /> <br /> <br />
E
Cà y est, il s'arrête plus.....
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M
<br /> Tout m'est prétexte !<br /> <br /> <br />