Perry Leopold et ma folk-attitude

Publié le par Mr. Oyster

Depuis quelques jours, je n’écoute plus que du folk. Je m’en vais donc causer folk. Ce n’est pas comme si blues et folk étaient fondamentalement antithétiques, notez bien – je ne compte plus les enregistrements des Anciens du blues qui flirtent avec le folk et la country (Blake, Leadbelly pour ne citer qu’eux) – dans le creuset originel, les genres se frottent et se nourrissent. Certains bluesmen ne savaient même pas qu’il faut 12 mesures pour faire du blues… 

L’histoire fait le reste, fixe les règles et bétonne les genres. Culture populaire oblige (ce n’est pas une insulte…), j’ai connu d’abord le folk flower power d’un John B. Sebastian. J’aimais bien Donovan, aussi, que j’ai vu en concert où il nous infligea la (non-)présence de sa fille, dont pour des raisons d’éthique j’ai oublié le nom. Maintenant, je n’aime plus Donovan, hormis quelques titres piochés ici et là dans sa discographie, que j’écoute parfois quand je fais la vaisselle. La musique de Donovan passe bien quand on fait le ménage. « Quand je regarde dans le trou des chiottes, je vois Donovan », dixit Dylan, mais je n’irai pas jusque-là.
En remontant le temps, on tombe sur les présocratiques. Leurs corps sont poussiéreux mais ils bougent encore, gardiens d’un temple préhistorique. Les Pete Seeger, Van Ronk, Von Schmidt, Phil Ochs. Beaux, émouvants… et assis dans les limitations du genre. Dylan a pour ainsi dire inventé l’écriture, la dialectique, la maïeutique et l’après-rasage, le tout en même temps. Plus loin encore, le vénérable John Jacob Niles se tient un peu à part, comme le majestueux chef-d’œuvre ourlé de ténèbres qu’il est.  

Mais ce n’est pas de tout ça dont je veux vous entretenir.  

Un beau jour – avant même son passage à l’électricité, Newport, souvenez-vous – Dylan s’est ébroué : Anotherside of folk-music. Mais faisons bref. Accomplissons le grand saut par-dessus les courants qui vous fait passer des jolis minois de CSNY aux jardins suspendus de Perry Leopold. Car, depuis quelques jours, si je n’écoute plus que du folk, c’est que je n’écoute plus que Perry Leopold. Je suis secoué, à l’envers, perdu, et c’est rudement bon.
Deux disques tournent en boucle. D’abord, le Christian Lucifer paru en 1973, qui vous précipite en pleine épopée médiévale : les levers de soleil majestueux se succèdent aux crépuscules trempés dans le sang. L’épopée est intimiste. L’atmosphère trouble et enchanteresse se lève et vous envape peu à peu. Les paysages intérieurs qu’il déploie rappellent par certains aspects les contrées de Days of future Passed (des Moody Blues, 1967) – cependant l’artisanal Christian Lucifer vous introduit bien plus loin dans son monde. Du souple et sombre tourbillon de Serpentine Lane déroulant sa mystique et dépressive procession aux hypnotiques incantations de Vespers, vous vous égarez aux confins du temps. Plongée en apnée dans l’a-temporalité confirmée à l’écoute de Experiment in metaphysics (1970), album solo sensuel imprégné de délectables douleurs, vibrant doucement d’ivresses sans commencement ni fin. Dépouillé, pur et luisant de larmes et de rosé(e). L’unité du disque est telle que l’auditeur ne peut que se perdre non sans délice à l’intérieur, errant dans le dédale brumeux d’une certaine conception du folk.

 

 

 

D’ailleurs, dit-on le folk ou la folk ? J’ai écrit spontanément le folk, alors que j’emploie toujours d’ordinaire le féminin. Mais qu’importe, je m’en retourne aux expériences du bon Leopold.

[Un lien intéressant et un autre]

 

Publié dans Folk

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E
Faut que j'écoute çà.
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