La maman et la putain - tout un Programme

Publié le par Mr. Oyster


     Depuis le temps que mon innombrable lectorat rue dans les brancards. Depuis le temps que je me dis qu’il faut que je m’y remette… Bien des péripéties plus tard, c’est finalement un film de Jean Eustache qui m’a décidé. Un film d’Eustache, et un groupe de rock aujourd’hui disparu, dont je ne me lasse pas de m’extasier de la nationalité, puisqu’il s’agit d’un groupe de rock français. Si, si, avec des textes qui sonnent comme des claques et une ambiance musicale à se rouler par terre de bonheur – ou à éprouver l’impérieuse nécessité de la défenestration, c’est selon. Ce groupe aujourd’hui enterré, qui sévissait dans les années 90 (c’est-à-dire l’époque où je me complaisais, planqué sous une chevelure démesurée, dans l’écoute fébrile et niaise de Manu Chao, Noir Désir et consorts), ce groupe donc a donné naissance à deux autres intéressantes aventures intitulées Expérience et Programme. Je ne connais pour l’heure que cette seconde et minimaliste formation, dont le slam glauque tour à tour scandé, chuchoté, torturé sur une musique déliquescente flirtant avec les zones les plus sombres de l’abstraction (musique concrète et abstraction, en voilà un débat intéressant), vous enivre de visions surréalistes et d’aphorismes nihilistes au goût âpre de bile, de poésie spontanée, enragée, hallucinée, désespérée mais sans fard, qui vient des tripes. Les paysages urbains enfumés, toujours prêts à se rompre, succèdent aux instantanés de salles de jeux sinistres et de cœurs mis à nu à même le béton lézardé – tout menace de craquer, tout est saisi dans cet instant orgasmique et bien noir, cette ultime seconde qui précède la rupture. Ici, point d’engagement politique idéaliste, point de bonne conscience dont on se repaît à peu de frais : le décor sent la mort, l’implosion est existentielle. La confrontation du soi au soi, c’est la réduction du tout au rien.

 

Maintenant, me demanderez-vous, quel rapport entre Jean Eustache, réalisateur français de génie dont humblement je ne dirai rien, et le sus-cité Programme ? La réponse, c’est La maman et la putain. Tout est parti de ce petit bijou cinématographique autant que littéraire, qu’On me montra tout récemment et dont il me semble encore entendre l’écho des dialogues quand j’éteins la lumière le soir. Un film qui m’a scotché, touché et bouleversé à force de me retourner, ce genre de films qu’il faut avoir vu pour se rendre compte que l’on a failli tout rater. Sois-en mille fois remerciée. Il faut que je découvre tout Eustache. Et donc, j’en parlais à une copine qui me dit « tiens, tu connais ce qu’en a fait Diabologum ? » (ce fameux groupe français dont j’entendais parler pour la première fois). Du coup, je me procure l’album de Diabologum, # 3, sur lequel figure le morceau La maman et la putain, qui est en réalité la mise en musique d’un des plus saisissants monologues du film. C’est joliment fait, sans prétention, on sent qu’ils touchent à un objet précieux et je peux vous dire qu’ils ne l’abîment pas. Dans la foulée, l’ensemble de l’album, du premier au dernier texte, me révolutionne. Même leurs rares maladresses mettent le doigt sur quelque-chose. J’ignorais qu’un groupe français pouvait faire aussi fort, musicalement et poétiquement parlant. Je décide donc de m’intéresser au travail qui a suivi, et plus particulièrement celui de Michniak, ex-Diabologum fondateur de Programme dont la susmentionnée (j’aime le préfixe sus, c’est l’évidence) copine me file très généreusement par mp3 les albums L’Enfer tiède et Mon cerveau dans ma bouche. Autant vous dire que je les écoute en boucle depuis trois jours et que je n’ai jamais rien entendu de tel. Ils mettent des mots sur ce qui nous pend au nez depuis toujours et soudain nous prend aux tripes. Nous perdent dans le labyrinthe désolé d’un monde infernal directement calqué sur l’intime désolation de notre conscience. C’est douloureux, ça fait du bien et les petits hasards de la vie sont parfois très beaux.




Publié dans Vrac

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E
Vraiment très heureux que çà te plaise et que çà te donne envie de réécrire..
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M
<br /> <br /> Tout le plaisir est pour moi. Les textes de Programme me tuent...<br /> <br /> <br /> <br />
R
Cher Oyster. Heureux de te retrouver parmis la communauté des blogueurs.C'est toujours une joie de retrouver ce style si lyrique qui te sied tant. Pour tout dire, lire du monsieur huître est enivrant. Si tu étais un verre d'alcool il y a longtemps que je t'aurais bu d'un trait (aucun sous entendu salace, c'est promis). En tout cas je t'invite à venir lire le blog :http://yacours.wordpress.com/, que je tiens avec quelques amis amoureux de livres. Exigence culturelle y est à l'honneur. A très bientôt.
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M
<br /> Merci Redskirt. Je suis meilleur on the rock. Du coup je rajoute votre blog dans mes favoris, si à l'occasion tu peux me redonner l'adresse de votre site lovecraftien... Au plaisir.<br /> <br /> <br />