Ma nuit avec Robert Johnson

Publié le par Mr. Oyster

Cette nuit, ne parvenant à trouver le sommeil, je me suis levé à quatre heures du matin en pensant à Robert Johnson. Non seulement je suis insomniaque, mais en plus je suis complétement allumé – If I had possession over judgement day tournait en boucle dans ma tête, le fantôme tempêtait entre mes tempes : « and I rolled and I tumbled and I cried the whole night long… » Sympa, Robert !


 


Robert Johnson, mythe fondateur davantage que père véritable, c’est un peu le Graal, la coupe de légende à laquelle on voudrait s’abreuver jusqu’à plus soif – mais on ne peut pas. Le sombre ectoplasme ne vous laisse pas tranquille, il joue avec vous et quand il se lasse disparaît. Vous vous retrouvez seul sur le sol de la salle à manger, en sueur et frustré, vous vous dîtes : « Je vais remettre ce disque ».

Ce dique, The Complete Recordings (deux disques en fait), comprend toutes les sessions d’enregistrements de Johnson, effectuées entre 1936 et 1937. Des titres aussi légendaires que Dust my broom, Come on in my kitchen, Crossroads tutoient allégrement anges et démons – il faut dire que le monsieur a rencontré le diable à un carrefour. A moins que ce ne fut Tommy Johnson, on ne sait plus – si ce n’est lui c’est donc son frère. Ayant donc reçu son talent des mains d’une ombre tombée du ciel, Johnson s’est employé à ériger sa propre légende en même temps qu’un pan entier d’histoire de la musique afro-américaine. Son falsetto tourmenté, son jeu de guitare acéré vous transpercent de part en part : écouter Johnson, c’est à chaque fois revivre une première expérience sexuelle – laquelle expérience se déroulerait entre ciels et enfers, dans la boue rousseâtre et les nuées de feux follets.

    
Il vous transporte à son carrefour. L'image  est saisissante : croisée des chemins que nous trace le destin, rencontre des siècles et des cultures fusionnant lors d'un instant de Grâce musicale, métaphore de haute portée érotique. L'ambiance est propice aux épanchements et à l'effroi ; le fantôme est narquois : il aura laissé à la postérité deux photographies et pas moins de trois tombes. Et combien de petits rockeurs américains ou anglais qui ont aperçu son ombre à la fenêtre de leur chambre ! Elmore James, Muddy Waters, Bob Dylan pour n’en citer que quelques-uns parmi sa longue descendance.

Autant que sa vie, que sa musique même – nerveuse et enfumée – sa mort demeure un mystère : maladie pulmonaire, syphilis, empoisonnement ? Le grand Sonny Boy Williamson raconte qu’il a été victime d’une bouteille de whisky empoisonné. Peu importe – ce qui compte, c’est la densité et la rudesse de ce mythe dont la noire silhouette plâne encore sur le temple du Delta Blues, ce fragment de terre marécageuse et de musique hors du temps. Un monde à part, avec ses hymnes brutaux et ses rumeurs avinées, dont il faut prendre le plus grand soin, même si on laisse un peu de sa santé mentale à la tâche.


 

They're red hot 


[Déjà une dizaine de billets, et je n'ai toujours pas posté sur le vilain petit canard. Je dois couver un truc.] 

Publié dans Blues

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J
Clairement l'un de mes bluesman favori avec Skip James et Son House. Quand on pense que ce disque regroupe a lui seul les plus grands satndards du blues !!!!!!!!!! Peu d'artistes ont été autant l'inspiration de nombreux groupes actuels :o)
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M
<br /> <br /> C'est l'histoire du blues-rock qui naîtra avec lui ! Merci Jipes. Je ferai une note sur Skippie et Son House un de ces jours...<br /> <br /> <br /> <br />
E
C'est le trac!
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M
<br /> Bien vu !<br /> <br /> <br />